jeudi, février 03, 2005

Vive Pierre Magnan

Je ne saurai trop remercier les correcteurs du Monde d'avoir transmis les coordonnées de ce site.

Vous trouverez à la "Rubrique de l'enragé permanent" le propos suivant dont vous imaginez tout le plaisir qu'il pu me faire :

Décembre 2004 :

Je viens de lire dans un numéro du "Monde" déjà ancien, six pages consacrées à la mort de Pierre Bourdieu sans y comprendre goutte. "Fidèle héritier de Dürkheim et de Mauss, Pierre Bourdieu a construit des catégories conceptuelles pour analyser les champs littéraire, artistique et philosophique". Je ne sais pas qui est Mauss. Et vous?

La tendance mandarinesque de toute l'étude sur ce penseur est attestée par la suite des articles : "l'exercice de réflexivité critique auquel il se soumet désigne, avec acuité, la difficulté de tout projet qui entend repérer les conditions de possibilités historiques des discours qui se donnent comme un savoir vrai sur le monde social". Tout est de cette mouture, laquelle, outre sa cascade de génitifs, nous éloigne de la pensée limpide de Boileau : "ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement".

Seul, peut-être, l'article de Bernard Charlot nous ramène à la clarté lorsqu'il exprime : "les sciences de l'éducation posent la question du sujet. Tout individu est 100% social, 100% singulier, mais le total n'est pas égal à 200%, il est égal à 100% : deux enfants de la même famille n'ont pas automatiquement la même histoire scolaire". Pour illustrer ceci pourquoi moi, fils d'ouvrier électricien et petit-fils de paysan, alors que de ma vie je n'avais écouté que "les cloches de Corneville", Tino Rossi et Vincent Scotto, suis-je resté cloué sur place à 15 ans en entendant la cantate 140 de Jean-Sébastien Bach? L'individu est beaucoup plus complexe que ce que vos langages de mandarins en prétendant le rendre clair ne font qu'en attiser le mystère.

Tel jour j'étais chez Poivre d'Arvor (ex-libris je crois), tout petit entre trois géants (deux prix Goncourt et un Renaudot je crois) : la conversation respirait à une telle hauteur que je ne pouvais plus suivre. C'est alors que je me suis entendu dire avec effroi car on m'avait poliment laissé la parole, ces mots qui me peignent tout entier : "Moi je suis un écrivain de moyenne intelligence, écrivant pour les intelligences moyennes".

Cette profession de foi fit souffler un petit vent de panique sur l'assemblée. Il n'y avait pas de quoi. Jean Delay, biographe d'André Gide écrit : "Gide n'aimait pas les philosophes car il n'avait pas compris que la philosophie n'est que la projection du caractère d'un philosophe qui propose d'appliquer à l'humanité tout entière, les solutions qui lui ont paru convenir à son problème particulier".

Vous qui, comme moi, ne parvenez pas à monter plus haut, relisez Montaigne de toute urgence : il ne quitte jamais le chemin de la clarté.


Lien :Pierre Magnan, auteur, ecrivain francais

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