dimanche, mai 21, 2006

La France, orpheline de 1789

J'aime bien le style de Baverez, même si il en fait quelquefois un peu trop. Mais il a le sens de la formule, dire de Chirac qu'il considère que "s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème" est plaisant.


La France, orpheline de 1789

Nicolas Baverez

Dans son article 16, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 rappelle que « Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Dans son article 12, elle établit que « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée ». A la lumière de ces principes, force est de constater que, plus de deux siècles plus tard, la France n'a ni Constitution ni système de libertés publiques. Elle est un espace sans droit ni loi.

L'affaire Clearstream donne la nausée, tant, au-delà de l'amateurisme et de la légèreté de ses acteurs, elle illustre la corruption d'une République réduite à un cadavre dont des clans de macoutes se disputent les reliefs. Elle appartient à ces scandales qui ruinent les principes mêmes de la démocratie. Elle démontre l'impossibilité de rétablir le crédit international du pays, la cohésion de la nation, l'autorité de la loi, dès lors que l'Etat vit sous le signe du mensonge, de la voie de fait et de la vendetta.

La monarchie républicaine n'échappe pas au théorème de Montesquieu, qui veut que la monarchie va vers le despotisme comme les fleuves se mêlent à la mer. Au sommet de l'Etat, le palais de l'Elysée s'est mué en château de Sigmaringen, hanté par des spectres qui montrent que même quand il n'y a plus de régime on trouve encore des courtisans. Mais la France est aussi le pays où l'exécutif a deux têtes, faute d'avoir une cervelle. Aussi bien le président-fainéant - dont l'idée de la France tient tout entière dans la maxime selon laquelle s'il n'y a pas de solution, c'est qu'il n'y a pas de problème - est assisté d'un maire du palais, qui allie la morgue d'un Norpois aux vices d'un Vidocq de chef-lieu de canton. L'impéritie du premier est mise au service de la démesure du second ; le culte du second pour la basse police repose sur la certitude de l'impunité que lui assure l'irresponsabilité illimitée du premier. Au risque d'une ultime erreur de jugement, tant il est vrai que le soutien de Jacques Chirac n'est jamais plus ferme qu'à la veille de son retrait.

Au-delà de la veulerie des hommes, l'affaire Clearstream marque la faillite d'un système institutionnel. La Ve République a été blessée à mort par François Mitterrand, qui a confié à son successeur le soin de l'achever, mission qui reste à ce jour l'unique succès à son actif. Le premier l'a pervertie, en introduisant le venin fatal de la cohabitation ; le second a porté le coup de grâce avec la dissolution de 1997, le quinquennat puis le référendum de 2005, qui ont anéanti simultanément l'autorité et la responsabilité. Le premier a exploré et utilisé toutes les dangereuses potentialités du pouvoir personnel. Le second l'a coupé de l'Histoire et de l'action. Taillée par et pour Gulliver, la Ve République ne pouvait survivre dès lors qu'elle tombait entre les mains des Lilliputiens. Elle est aujourd'hui morte.

Le scandale Clearstream est exemplaire parce qu'il naît au confluent de quatre des fléaux qui accablent la France et qu'il lui faudra impérativement surmonter pour se relever.

D'abord, l'absolutisme présidentiel, qui aboutit à ce que tous et tout dépendent d'un seul, que tout sur son ordre soit décrété possible et exécuté sans discussion, quitte à s'affranchir des lois et de la plus élémentaire morale. Ensuite, la nationalisation permanente des biens et des revenus des citoyens - via les prélèvements obligatoires et la dette publique - associée à la privatisation des moyens de l'Etat au bénéfice d'un clan. Puis l'absence de contre-pouvoirs crédibles, avec l'instrumentalisation de la justice et des médias, dont l'arbitraire et le mépris du droit font écho à celui des gouvernants. Enfin l'économie administrée et le capitalisme d'Etat, tant il est vrai que le ventre qui a enfanté le monstre est à chercher dans l'intervention de l'Elysée pour arbitrer la guerre intestine pour le contrôle d'EADS. Avec pour dommage collatéral immédiat les turbulences d'Airbus et la reconstitution du leadership de Boeing sur l'industrie aéronautique mondiale.

« La calomnie est bien la pire des fleurs, elle qui fait deux coupables et une victime », soulignait Hérodote. Et, de fait, les victimes des mensonges et de la déraison d'Etat ne manquent pas. La réforme, dénoncée et discréditée par ceux-là même qui devraient la porter. La démocratie, livrée en pâture aux extrémistes de tout poil. La nation, privée de la réassurance d'institutions légitimes et d'un Etat efficace alors qu'elle affronte une crise majeure. La France enfin, devenue la risée du monde. Au seuil de l'échéance décisive de 2007, tout l'espoir se concentre donc dans les citoyens, dont seule la valeur fonde la grandeur d'une nation.

© le point 18/05/06 - N°1757 - Page 44 - 802 mots

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