mardi, juin 27, 2006

En garde à vue avec Karim, 17 ans, multirécidiviste

Dalrymple a publié un article sur le même thème en anglais It's this bad relatant des faits similaires en Angleterre, plus graves pour l'agressé (coma, séquelles cérébrales) mais pas pour l'agresseur et fait la même analyse que celle que je présente en commentaires entre [].

Les faits me semblent suffisamment révélateurs et leur signification suffisamment grave pour mériter la citation exhaustive.

En garde à vue avec Karim, 17 ans, multirécidiviste

LE MONDE 27.06.06 15h00 • Mis à jour le 27.06.06 15h00

Karim paraît bien sage, tassé sur sa chaise. Mais ce grand adolescent de 17 ans à la moustache naissante est aussi un délinquant, un "multirécidiviste", comme disent les policiers, arrivé dans le bureau les menottes aux poignets. Depuis près de vingt heures, ce jour de juin, Karim (son prénom a été modifié [touchante précaution : on remarquera que le nom de la coiffeuse accusée de discrimination à l'embauche -article d'il y a quelques jours- n'a pas été modifié]) est en garde à vue au commissariat d'Evry (Essonne) pour avoir "planté" un camarade avec un couteau de cuisine. Une nouvelle étape dans son parcours délinquant : ces trois dernières années, les policiers l'ont mis en cause pour une vingtaine d'infractions [et il était toujours libre jusqu'à l'aggression].

"On le voit quasiment tous les deux mois [ce qu'il y a de bien avec les habitudes, c'est qu'elles finissent par paraître normales]. Jusque-là, il faisait quarante-huit heures de garde à vue et il était libéré. Donc il nous prenait pour des cons [réaction justifiée si on se met à sa place]", se désole Christophe Capelle, 32 ans, lieutenant de police. Karim ou l'exemple-type, pour les policiers, des effets désastreux du sentiment d'impunité des mineurs délinquants [le mot "sentiment" est de trop : il s'agit d'une réelle impunité, or la transgression impunie appelle l'escalade]. Et donc de la nécessité, à leurs yeux [aux miens aussi], de réviser la justice des mineurs, notamment l'ordonnance de 1945, comme le préconise le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy.

Cette fois-ci, c'est une "histoire de banlieue" des plus banales qui a conduit le jeune homme à l'hôtel de police : une fille qui le regarde "mal" [on remarquera la sensibilité fantastique de cet ego aussi surdimensionné que vide : un simple regard, d'autant plus s'il est féminin, est une agression insupportable], une claque pour la remettre à sa place [ben voyons, si on te regarde, c'est normal que tu cognes], le copain de la fille qui le "traite" et Karim qui rentre chez lui, prend un couteau de cuisine et retourne sur la place poignarder le jeune homme [processus qui a du prendre un certain temps, le temps de se calmer par exemple, mais non, se calmer, c'est se comporter en adulte, en vieux, très loin des idéaux de notre époque qui se gargarise de tolérance]. A quelques centimètres près, le coup aurait pu être mortel mais la victime, majeure, s'en sort avec un passage aux urgences et dix jours d'interruption temporaire de travail (ITT).

Très calme [n'ayant aucune empathie, se considérant comme supérieur du haut de son vide, il ne peut ni mesurer ses responsabilités ni compatir], visiblement serein malgré vingt heures de garde à vue, Karim fait face au brigadier Fabien Bourat, 30 ans. Le policier l'interroge pour tenter de mesurer le caractère prémédité de l'acte : "Pourquoi tu l'as planté ?

- Vas-y. Il m'a énervé. Je sais pas ce qu'il voulait montrer à la meuf mais voilà. Je sais pas pour qui il s'est pris. Il m'a dit "casse-toi". Je l'ai planté. J'avais la rage [évidemment c'est une excuse : on ne peut pas, on ne doit pas, aller contre ses sentiments : il faut être spontané. C'est la doctrine de l'époque. Si sa spontanéité le pousse à égorger son voisin, c'est bien dommage, mais mieux vaut ça que d'être refoulé et frustré. Le contraire de cette attitude s'appelle être civilisé, cette mystérieuse manière d'être est expliquée dans de vieux livres poussiéreux que plus personne ne lit.]

- Ton but, c'était quoi ?

- Je voulais pas le planter. Je voulais me battre avec lui, j'avais la rage [re-excuse rageuse : je voulais, je voulais, mais l'autre en face, qu'est-ce qu'il voulait ? Etre "planté" ? En fait, l'autre ne compte pas, n'existe pas, sauf comme cible sur laquelle passer sa "rage"]."

Aucun regret exprimé [pourquoi regretter ?]. Au contraire même : ne supportant pas que la victime ait porté plainte, Karim menace de représailles [évidemment, la plainte est imméritée : Karim était en état de légitime défense rageuse suite à une odieuse agression oculaire. Cette plainte est une inadmissible remise en cause du droit à la spontanéité de Karim, une brimade de son être tout en sensibilité. D'ailleurs, l'existence d'autres hommes sur la planète de cet adolescent-Dieu est en soi une agression.]. Il s'inquiète parce que son frère a également été placé en garde à vue pour avoir tenté de faire pression sur la famille du jeune homme agressé. "Quand je sors, dit-il, je vais le défoncer. Moi, je suis enfermé comme un chien [non, pas comme un chien, comme un agreseur] et lui, il rigole dehors. Il fait trop la victime [on remarque que Karim, incapable de considérer autre chose que soi, ne peut réaliser que l'agressé est vraiment une victime ; tout doit tourner autour de lui, la victime joue donc un jeu dont l'unique but est de l'emmerder, lui, le centre du monde.]. Faut qu'il arrête, il est chelou."

La gardienne de la paix, Halima Merzouk, 28 ans, tente de le raisonner : "Si tu fais le con, tu vas prendre des années de prison." Son collègue Fabien Bourat insiste : "Si jamais tu ressors et que tu refais une connerie, c'est fini." Peine perdue, Karim s'énerve : "Vas-y. Il prend ma famille pour des pédés [comment ? Qu'ouis-je ? Qu'entends-je ? Que lis-je ? Une telle insulte et Karim n'est pas aussitôt accusé d'homophobie, crime bien plus grave qu'un malheureux dérapage coutelier sous l'emprise d'une légitime rage ? Vraiment, que fait la police ?], il dépose plainte, la retire, la remet... Si je vais pas en prison tout de suite, sur le Coran [expression à caractère identitaire qui n'indique nullement que le jureur ait lu le Coran, respecte le Coran ou même sache lire] je me le fais. Si c'est pas lui, c'est son frère ["Si ce n'est pas toi, c'est donc ton frère", il y a une fable de La Fontaine sur le sujet, je doute que Karim la connaisse. C'est dommage, il s'y verrait en loup parlant des moutons. Vu son complexe de supériorité, son culte de la force, son agressivité et son mépris du genre humain, je ne suis pas sûr que l'image lui déplaise]."

La victime craint visiblement les représailles : après avoir hésité, elle a retiré sa plainte [une superbe victoire de l'état de droit] en indiquant que, partageant sa confession musulmane et connaissant sa famille, elle pardonnait son agresseur. Les menaces de Karim sont également prises très au sérieux par les policiers : à Evry, début mai, un jeune homme est décédé après avoir été poignardé pour une histoire de rivalité entre quartiers. Des expéditions punitives avaient ensuite été organisées par des proches de la victime.

Pour les policiers, Karim est une caricature des mineurs récidivistes face auxquels ils se sentent désarmés. Les fichiers informatiques mentionnent une vingtaine d'infractions commises en trois ans, des vols avec violence, des dégradations, la détention illégale d'armes, des outrages, des violences sur agent. Depuis cinq ans, il a été écroué, en détention provisoire, une seule fois de janvier à mars 2006 pour vol à main armée.

En patrouille dans les quartiers sensibles d'Evry, les policiers de la BAC (brigade anticriminalité) du commissariat désignent du doigt de nombreux mineurs délinquants, interpellés à de nombreuses reprises mais pour lesquels aucune sanction n'a été prise. "Lui, on l'a déjà serré une dizaine de fois. Il est toujours dehors. Celui-là, il pèse 20 kilos tout mouillé et il a pas 15 ans mais a déjà fait plusieurs vols avec violence", raconte l'un des policiers. "Je dirais que 80 % des interpellations que l'on fait concernent des mineurs ou de très jeunes majeurs", relève Julien Martin, 32 ans, le lieutenant qui commande la BAC d'Evry. Le soir même, ses hommes interpellent un jeune de 11 ans impliqué, avec trois autres mineurs, dans un cambriolage. La "routine", la conséquence de l'"impunité", disent les policiers.

"Des types comme Karim, on les arrête, ils passent devant le juge des enfants. Ils sont placés en foyer, ils s'enfuient et ils recommencent", souligne Christophe Capelle. Le groupe de cinq policiers chargé des vols avec violence - deux par jour en moyenne sur la circonscription d'Evry (90 000 habitants) - y voit une des raisons de la participation fréquente de jeunes mineurs à des agressions crapuleuses, souvent commises en groupe, souvent très violentes.

Le commissaire principal, Jean-François Papineau, évoque des "gamins dressés au vol dès 5 ans" qui connaissent parfaitement les rouages de la justice. Karim en fait partie, qui connaît très bien les rôles respectifs des policiers, du juge des enfants, du procureur ou bien du juge des libertés et de la détention. [Tout cela n'est pas bien grave : puisque l'Etat, malgré de lourds impots, abdique sa mission d'enfermer les gêneurs, ce sont les riches qui vont s'enfermer chez eux, dans des quartiers réservés, pour se protéger des gêneurs en liberté. Le processus est déjà commencé. Quant aux pauvres, qui n'ont pas les moyens de payer barrières, caméras et gardiens, ma foi, ils n'ont qu'à être plus riches. Cela s'appelle la République. ]

Dans sa cellule de garde à vue, il demande aux policiers quand il peut espérer sortir. La réponse tombe plus tard : estimant que le geste est grave et que sa remise en liberté comporte des risques de trouble à l'ordre public, le procureur a requis la mise en détention provisoire, ce que le juge des libertés et de la détention a accepté. Une information judiciaire a été ouverte pour tentative d'assassinat.

Karim a peut-être commis l'acte de trop mais la prison ne l'inquiète visiblement pas [c'est même un honneur, comme une blessure de guerre, d'y aller]. En défendant son honneur [??] au couteau, relèvent les policiers, il privilégie la loi de la cité sur tout le reste. "Karim comprend très bien sa situation. Mais, même devant nous, c'est la loi de la cité, celle qu'il vit vingt-quatre heures sur vingt-quatre, qui le commande. La loi de la police et de la justice, il ne la croise que de temps en temps. Donc il n'a pas peur de nous dire qu'il va se venger", explique Fabien Bourat.

Le seul aspect qui semble gêner Karim, c'est le regard de sa mère [même les pires abrutis ont une mère, la piété filiale n'est pas une garantie de savoir-vivre.]. "La mettez pas en panique", demande-t-il aux policiers. Pendant une conversation plus informelle, le lieutenant Capelle lui demande s'il a souffert de sa première expérience carcérale : "Normal", "pas de souci". Il sait qu'il y retrouvera des copains de la cité. Et que son statut, dans le quartier, en sortira renforcé. Bien plus que s'il demeure dans son emploi, au fond des cuisines d'un fast-food. [et ce n'est pas les 35 h qui vont rendre le travail plus honorable]

[ Je suis un salaud qui ne comprends pas que Karim est une pauvre victime de la société (plus précisément du libéralisme, ultra, forcément ultra. Je plaisante : si Karim est bien victime de quelque chose dans la société, c'est de l'assistanat, authentique fabrique d''irresponsables, pourvus d'une foultitude de droits-créances et d'aucun devoir). Je pense que Karim est un loup -et encore, c'est une insulte pour le loup.

Cependant, tout loup qu'il est, Karim est parfaitement réprésentatif de l'idéal de notre société : adolescence perpétuelle, expression de soi, éloge de la spontanéité, sentiment supérieur à la raison, égoïsme absolu (perte de la relativité des choses et de moi-même), culte du corps et de la force.

Qu'en conclure ? Qu'il faut vous dépêcher de devenir riches pour pouvoir vous réfugier dans des quartiers protégés. Ensuite, bien à l'abri, vous aurez tout loisir pour vous apitoyer sur la condition des pauvres qui vivent dans la peur ("jouer sur le sécuritaire" : être de droite) ou les oublier totalement ("ne pas faire le jeu de la droite" : être de gauche), au choix.]

Luc Bronner

Article paru dans l'édition du 28.06.06

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