vendredi, juin 22, 2007

Le bac, monument en péril

Je connais quelques jeunes qui passent le bac ou le bac de français, j'en ai discuté avec eux, il y avait un certain malaise entre nous : je ne pouvais pas décemment leur dire que je pensais que c'était de la fumisterie, mais ils le sentaient et, pourtant, ça reste pour eux une épreuve.

Evidemment, le problème fondamental est que l'éducation est nationale. Si les méthodes imposées nationalement sont bonnes, tout va bien ; si, comme actuellement, elles sont mauvaises, c'est la catastrophe nationale.

J'ai trouvé cela sur le blog de JP Brighelli (de même que les livres parlent aux livres, les blogs parlent aux blogs) :

Le Bac, monument en péril

J’ai trouvé sur le site de Sauver les Lettres (http://www.sauv.net/ctrc.php?id=842), qui rassemble en ce moment les témoignages les plus divers sur l’Epreuve Anticipée de Français (EAF, en jargon de l’Education), le témoignage suivant, signé « Y.Z. » :

« Je suis allé à la réunion d’harmonisation pour l’écrit de l’EAF avec un paquet de 90 copies, comme plusieurs collègues de l’académie de Lille dont je suis. Evidemment, j’ai aussi 70 candidats à l’oral, et j’ai eu des surveillances à faire après réception des copies et des descriptifs. C’est donc fatigué mais désireux de faire au mieux pour les élèves que je suis allé à cette réunion, dont je tiens absolument à publier les moments les plus significatifs.

« Les collègues chargées de l’animer (1) ont ouvert le bal en précisant qu’on leur avait demandé de bien insister sur le fait que l’orthographe n’était qu’un critère d’évaluation parmi d’autres. Le document académique d’aide à la correction commence lui aussi par cette idée que « l’orthographe n’est qu’une composante de la correction de l’expression ». Quelques collègues osent rappeler qu’il s’agit d’un écrit de français. On sort alors l’artillerie lourde : notre matière, nous rétorque-t-on, est en danger (j’en conviens aisément), comme le latin ou l’allemand. Un collègue ironise, demandant si le français va devenir une langue facultative.

« On nous explique que c’est parce que nous ne savons pas valoriser le travail des élèves. Ainsi nous explique-t-on comment corriger cette épreuve écrite : les professeurs chargées de préparer l’harmonisation ont demandé à des collègues pendant leur réunion de préparation de leur lire des copies à voix haute. Dans ce cas, on est beaucoup plus attentif aux qualités de la copie, on se rend compte qu’il y a des idées, des raisonnements parfaitement logiques… Certains collègues protestent, disent qu’il est ubuesque pour une épreuve écrite de faire abstraction précisément de l’écrit, et qu’on peut alors utiliser une écriture phonétique... Rien n’y fait, notre matière est en danger, par notre faute.

« On nous rappelle encore que pour le commentaire littéraire, il est hors de question de s’attendre à ce qu’il soit composé, cela ne concernant que les concours d’entrée aux ENS. Il y a bien longtemps, nous dit-on d’un air triomphant, que cela n’existe plus, et on devrait le savoir.

« La dissertation peut quant à elle se présenter sous la forme d’un catalogue de genres littéraires, sans réflexion.

« Quant à l’écriture d’invention, elle ne doit pas nécessairement comporter d’arguments.

« Les copies soumises à l’évaluation de tous sont abordées. Evidemment, les notes qu’on nous propose sont toujours au-dessus de la moyenne, et c’est le commentaire qui va déclencher le pugilat. On nous propose tout simplement 20/20. Des collègues avaient noté ce commentaire à 6/16, moi à 7/16. Les collègues sont priés de se justifier sur le champ, vraiment on ne comprend pas. Sauf que si le texte est compris, le commentaire consiste en un montage de citations qui ne sont pas intégrées dans des phrases, et pas toujours commentées. Il y a bien sûr plusieurs fautes, mais on nous a déjà dit de faire lire les copies par un collègue pour ne pas les voir.

« C’en est trop, je prends la parole, je dis qu’il en est du bac comme du brevet, que c’est la même fumisterie, que les directives de correction sont là pour faire monter les notes sans aucun discernement, et que dans ce cas-là on ferait mieux de s’épargner les corrections et de donner le bac à tout le monde sans le faire passer. Je précise que si notre matière est en danger, c’est bien à cause des méthodes qu’elles proposent, et parce que le français se dissout dans l’appréciation d’idées, ou d’une culture vague alors que nous ne sommes ni sociologues, ni historiens des idées.

On essaie de m’interrompre, on n’est pas d’accord du tout (mais les collègues présents approuvent pour la plupart, le disent ou le font bien sentir). Le ton monte, et l’on conclut ainsi « on n’est quand même pas des constipés de la note ! » Cette copie devrait susciter notre « jubilation », et les copies qu’on va trouver dans nos paquets devraient nous le faire comprendre.

« Je ne dis plus rien, je rentre écoeuré, et je passe la nuit sans dormir. Je me console en pensant qu’on nous a promis à l’oral que les IPR passeraient, bien décidés à ce qu’on procède par « écoute active, évaluation positive » ! Qu’on se le tienne pour dit, sinon gare… »


Pourquoi tant de colère, mon cher Y.Z. ? Le Bac — qu’il s’agisse des épreuves anticipées de Première ou de celles de Terminale — a été entraîné ces dernières années, par excès de pédagogie constructiviste, dans une spirale de déconstruction avancée. Et vous avez parfaitement raison lorsque vous dites qu’« il en est du bac comme du Brevet » : encore faudrait-il en tirer les conséquences, et faire passer le Bac comme on fait passer le Brevet.

Puisqu’après tout, l’un comme l’autre ne valent plus grand’chose.

Le Bac est l’étalon le plus sûr de la sempiternelle « baisse de niveau », dont il est vrai qu’elle est invoquée depuis l’âge des cavernes. Je ne sais pas ce qu’est un niveau qui baisse, parce qu’il est vrai que l’on arguera toujours, avec la meilleur mauvaise foi du monde, que les lycéens d’aujourd’hui ont d’autres compétences que ceux d’hier, patati-patata (2). Mais je sais ce que vaut un examen, parce que c’est le marché qui nous le dit.

Avec le Brevet des années 60, on entrait — sur concours — dans une Ecole Normale, où en trois ans, on vous apprenait le métier d’instituteur, tout en vous amenant au Bac : on se retrouvait donc à enseigner le b-a-ba — sauf quelques illuminés qui commençait déjà à détruire les gosses avec la méthode globale — à 18 ans.

Aujourd’hui, on passe le Bac, puis la Licence, on entre — sur concours — dans un IUFM, où, en deux ans (Bac + 5 !) on vous apprend à devenir « professeur des écoles » — sauf que la plupart (demandez à Rachel Boutonnet !) ne connaissent rien au b-a-ba (3)…

Je suis donc fondé à dire qu’en termes de marché, un Bac 1965 vaut un Bac + 5 actuel — en admettant, même si c'est une fiction, que les compétences finales soient les mêmes. Le Bac est un examen aujourd’hui totalement dévalué — et il permettrait systématiquement d’entrer en université ? Mais des universités enfin autonomes vont y regarder à deux fois avant de combler leurs amphis avec des élèves d'un niveau Cinquième 1965 !

D’autant que plus de 50% des formations post-Bac ne recrutent pas sur le Bac, mais sur le livret scolaire : demandez donc aux BTS, IUT, ou aux classes préparatoires comment ça se passe !

Serait-il donc si scandaleux d’entériner le fait que le Bac n’est plus qu’un examen de fin d’études, bien plus qu’un passeport vers la vie professionnelle ? Serait-il donc si scandaleux d’intégrer une part de contrôle continu dans cet examen aujourd’hui bradé — en multipliant, comme on le fait déjà dès la Seconde, et avec la bénédiction des parents, des « devoirs communs », des « Bacs blancs » — en fait, des compositions trimestrielles qui n’osent pas dire leur nom : chassez le passé, il revient au galop.

Ne passeraient alors d’épreuves finales que ceux qui ne seraient pas parvenus à une moyenne calculée sur deux ou trois ans — un moyen comme un autre d’obtenir trois ans durant de la motivation, du sérieux dans les classes, et du silence dans les rangs !

Je ne parle que pour mémoire de à-côtés pratiques : le Bac coûte aujourd’hui, selon les estimations, entre 40 et 200 millions d’euros. Surtout, il mobilise les enseignants, ferme les lycées, et envoie les élèves dans la rue — ou à la plage — au grand dam des familles. J’ai toujours trouvé que la semaine d’un lycéen était considérable, et les temps de récupération, ou d’activités annexes, ridiculement courts. En calculant une année scolaire sur huit mois réels, et non plus sept comme aujourd’hui (compte tenu des diverses vacances, et de ce mois de juin passé aux pertes plus qu'aux profits), on pourrait sans doute alléger considérablement la charge de travail hebdomadaire, ou mieux répartir les programmes — des programmes qu’il est par ailleurs urgent de modifier de fond en comble, mais c’est une autre histoire.

Jean-Paul Brighelli

PS. Un réalisateur ami cherche des témoignages immédiats sur les pressions exercées sur les correcteurs pour le Bac. Si vous êtes prêt(e) à témoigner devant une caméra, contactez donc Emmanuel Amara, emanamara@hotmail.com


(1) Les enseignants qui transmettent ainsi à leurs collègues les consignes rectorales et / ou ministérielles sont désormais assurés d’avancer « au grand choix », et sont bien placés pour passer à la « hors-classe », Graal de tout fonctionnaire, qui se décroche dorénavant en fonction de « l’investissement administratif », et non plus selon ses mérites pédagogiques… C’est dire à quel point ils font du zèle.

(2) L'université de Québec, confrontée comme les universités françaises à un niveau orthographique catastrophique, a décidé d'enlever un point par faute pour tout travail réalisé chez soi. En deux semaines, nos cousins canadiens ont éradiqué les scories que les étudiants laissaient traîner sur leurs devoirs. La carotte, certes, mais le bâton, pourquoi pas ?

(3) Rachel Boutonnet, Journal d’une institutrice clandestine, Ramsay, 2003.

1 commentaire:

  1. Désespérant de faire comprendre directement à Franck à quel point, sur un certain nombre de sujets, il erre, la palme revenant sans hésitation à la question de l'enseignement, je m'amuse (en plus c'est ludique) à le mettre devant ses contradictions.

    Ainsi, si ceci est vrai :
    ***Les enseignants qui transmettent ainsi à leurs collègues les consignes rectorales et / ou ministérielles sont désormais assurés d’avancer « au grand choix », et sont bien placés pour passer à la « hors-classe », Graal de tout fonctionnaire, qui se décroche dorénavant en fonction de « l’investissement administratif », et non plus selon ses mérites pédagogiques… C’est dire à quel point ils font du zèle.***, c'est la démonstration parfaite de l'utilité des syndicats, sur lesquels il crache avec une régularité de métronome.

    D'autant plus que ce n'est pas vrai ! Et précisément parce que les syndicats existent. Pour les promotions, la consultation des commissions paritaires est obligatoire, les syndicats ont obtenu depuis belle lurette, d'un ministère et d'un corps d'inspection au départ hostiles, qu'elles statuent suivant des barèmes qui restreignent l'arbitraire, et parmi les éléments qui concourent à ces barèmes, le zèle à transmettre aux collègues les dernières lubies desdits inspecteurs n'a jamais figuré.

    S'il devait prochainement figurer, ce serait donc un bel exemple de rupture sarkozyenne !

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