lundi, janvier 14, 2008

Rationalité et décisions politiques

L'interdiction de la culture commerciale des OGMs (1) en France est totalement irrationnelle quand on se place d'un point de vue des principes : si l'on suivait les principes qui ont conduit à l'interdiction des OGMs, on interdirait les voitures.

Ca donne l'occasion de réfléchir à notre façon de faire de la politique.

La démocratie représentative reposait sur le principe suivant. Tous les citoyens ne sont pas aptes à avoir un avis fondé sur tout, par contre, tous sont aptes à juger les hommes et les idées générales.

C'est pourquoi on élisait des gouvernants à qui on confiait le pouvoir pour un temps limité. Le mandat impératif était interdit. L'opinion avait certes une influence, mais il était encore possible de passer outre.

Sous l'influence des medias et des sondages permanents sur tout et sur n'importe quoi, bien que les textes n'aient pas changé, nous sommes passés à ce qu'on appelle faute de mieux «la démocratie d'opinion».

Or, celle ci repose sur des prémisses faux :

> tout le monde à un avis sur tout.

> tous les avis se valent et sont également légitimes.

La traduction concrète de ces prémisses est le sondage :

> Le nombre de «sans opinion», quel que soit le sujet, est ridiculement bas : tout le monde à un avis sur tout.

> Les réponses sont toutes considérées de la même manière : tous les avis se valent et sont également légitimes.

Tout le monde, ou presque, donne une réponse aux sondages, car il faut faire un effort d'honnêteté intellectuelle pour avouer qu'en réalité, on s'en fout et qu'on est «sans opinion».

Pourtant, pas besoin des montagnes de bon sens pour imaginer que cette hypothèse «tout le monde a un avis sur tout» ne tient pas la route trente secondes.

Quant à la deuxième hypothèse, «tous les avis se valent», là encore, il ne faut pas avoir fait de la sociologie pendant vingt ans pour savoir que c'est faux. J'espère pour vous que vous n'attachez pas la même importance aux avis de votre boulangère et à ceux de votre médecin concernant votre santé (et inversement concernant votre pain de campagne).

Ainsi, les bases de la démocratie représentative sont sapées par de nouvelles pratiques et habitudes dont les principes sont erronés.

Peu m'importe que 99 % des Français jugent que les OGMs sont dangereux, si, dans le 1 % qui reste, il y a 90 % des gens qui ont pris la peine de se renseigner sur les OGMs.

Alors que faire ?

Etre précautionneux quand on donne des avis sur des sujets qu'on ne connait pas ou peu. C'est important sur un blog, mais ailleurs aussi. J'ai conscience de me laisser quelquefois emporter, cependant, il ne me viendrait jamais à l'idée de donner mon opinion sur de la musique par exemple, sujet où je suis profondément ignare.

Mais, à part ça, je ne vois pas bien. J'avoue un certain fatalisme : j'ai bien peur que le troupeau et sa bêtise influent de plus en plus sur les décisions collectives.

Il y avait de la sagesse dans la manière dont les institutions ont été conçues. Cette sagesse a, à l'évidence, été perdue ; en partie par la force des choses et en partie par un mnque d'esprit démocratique.

Enfin, notons un dernier point de cette «démocratie» d'opinion : le débat y est confus, au profit de ceux, comme José Bové, qui savent parti de cette confusion.

Puisque nous parlons institutions et pratiques démocratiques, je vous confie cet article :

Triste anniversaire

Un bon résumé est cette citation :

«Les constituants français ont voulu bâtir rationnellement les droits des citoyens à partir d'un pouvoir parfait au lieu de protéger les droits de l'homme contre un pouvoir nécessairement imparfait.»

Nous ne sommes toujours pas guéris de cette erreur originelle. Quand on entend les politiciens de droite comme de gauche, l'Etat est toujours bon et bien intentionné, même si l'on est forcé de reconnaitre des errements en pratique.

Mais que l'Etat et le pouvoir puissent être par essence imparfaits et dangereux pour les libertés publiques, qu'ils soient un mal, nécessaire, mais mal cependant, voilà une notion qui n'effleure pas nos gouvernants.

Pourtant, l'un des premiers à développer ces notions, dans un essai de jeunesse lumineux comme un éclair dans un ciel d'orage, Le discours de la servitude volontaire, fut un Français, Etienne de la Boetie.

Comme il date de 1548, nos politiciens n'ont 460 ans de retard. Qu'est-ce que c'est pour un pays qui s'enorgueillit d'être millénaire ? Une paille !

Les Anglo-Saxons nous ont devancé dans l'intelligence de la démocratie ? Fi des estrangers ! Qu'ils aillent au diable, dit le coq perché sur son fumier.

(1) : ce n'est pas exactement la décision qui a été rendue, mais, en pratique, c'est bien à cela que ça revient.

5 commentaires:

  1. Mais que peut-on attendre d'autre de gens qui ne vivent que de la politique ; quand on en a fait son métier sans aucune alternative, comment peut-on seulement envisager de prendre des risques? Et d'abord pourquoi faire?
    Croyez-vous un seul instant que ces gens-là travaillent dans l'intérêt général?
    Il ne faut surtout pas déplaire car cela signifierait perdre sa place de choix...
    Je trouve tout ceci pathétique... un goût de fin de règne me vient aux lèvres...

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  2. Justement, je suis d'accord avec vous.

    C'est bien ce que dit le texte que j'ai mis en lien.

    Les institutions françaises sont en grande partie faites pour un pouvoir parfait : des hommes politiques bons, généreux, désintéressés, infaillibles, soucieux de l'intérêt général etc...

    C'est très malheureux, car on sait bien que les hommes ne sont pas ainsi. Mieux vaut concevoir des institutions pour des hommes intéressés, méchants, égoïstes, faillibles, sectaires car le pouvoir tend à les rendre tels, même si ils ne sont pas tous comme cela.

    Et qu'on n'aille pas me raconter que j'exagère : depuis des siècles que des hommes ont du pouvoir et un Etat pour le relayer, on en connait les effets, cela a nourri une abondante littérature («Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument.»)

    Il n'y a aucune raison pour que, par je ne sais quel miracle, les politiciens français soient meilleurs (ou pires) que les hommes décrits par Guichardin, par Montaigne, par Saint-Simon, ou que ceux imaginés par les constituants américains.

    Quand un homme politique français vous raconte qu'il se dévoue à l'intérêt général, vous pouvez le croire, mais ne soyez pas dupe, ne négligez pas les choses plus basses qu'il passe sous silence : l'ego flatté, les signes extérieurs de respect, les avantages en nature, les salaires, indemnités et avantages fiscaux et, plus que tout, l'ivresse du pouvoir, décider du destin des hommes et des choses, et aussi distribuer les places aux amis et aux obligés.

    On en revient à cette philosophie : les institutions doivent être conçues en considérant le pouvoir comme un mal (nécessaire) à limiter, encadrer, brimer, controler, c'est ainsi qu'ont été écrites les «checks and balances» américaines. Hélas, ce n'est pas cette vue qui a présidé aux institutions françaises (encore un héritage de la monarchie : le mythe du bon roi).

    Ce pouvoir trop étendu, déséquilibré, peu controlé, insuffisamment encadré par des principes fondamentaux, c'est le mal français.

    Faire la liste des domaines dans lesquels intervient l'Etat est proprement ahurissant : faites l'exercice vous même, c'est plus probant. Vous en viendrez vite à vous demander si il y a un seul domaine de votre vie où l'Etat n'intervient pas.

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  3. > Le nombre de «sans opinion», quel que soit le sujet, est ridiculement bas : tout le monde à un avis sur tout.

    Ca c'est du conformisme : je dois avoir une opinion comme les autres.
    Avez vous noté le peu de gens honnètes, capables de dire, "je ne sais pas " ?

    > Les réponses sont toutes considérées de la même manière : tous les avis se valent et sont également légitimes.

    Ca c'est du relativisme. On sait ce que ca vaut (cf l'arche de Zoé)

    J'ai un sentiment de trahison de tout ce que la France a produit depuis des siècles. Montaigne, Montesquieu, Malesherbes, La Révolution (au début bien sûr, sachant que Louis 15 et Louis 16 ont été des falots pas à la hauteurs, aprés nous avons sombré dans la folie totalitaire), Robespierre (avant la folie) ,Clémenceau, Talleyrand, De Gaulle, Mendes France,....

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  4. Dans le texte mis en lien de votre billet (http://ac.matra.free.fr/FB/feldman.htm)
    il y a cette belle et juste phrase :

    "À partir de 1789, les constituants français ont voulu bâtir rationnellement les droits des citoyens à partir d'un pouvoir parfait au lieu de protéger les droits de l'homme contre un pouvoir nécessairement imparfait. La dialectique du pouvoir et de la liberté autrement dit, le constat de la nécessité du pouvoir, mais aussi de son caractère inévitablement imparfait, en conséquence le fait que le pouvoir doive être drastiquement limité , si bien comprise par les Anglo-Saxons, ne l'a jamais été par nos constituants."

    Je dois dire que résumé en aussi peu de mots l'echec fondamental de 1789 est un bel exploit. Chapeau à l'auteur. Je mettrai le grand échec un peu aprés 89 personnellement. OU alors je le mettrai sous Louis 15 avec l'echec de Malesherbes.

    En tout cas, jolie phrase

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  5. F. Boizard, je partage pleinement votre analyse mais ne peux m'empêcher de souhaiter un "monde meilleur" sans illusion non plus... je ne sais si je le verrai un jour mais je l'espère au moins...
    Maintenant, ayant une vision du monde pragmatique et réaliste - tout en reconnaissant mes limites! - je crains que ce système fait de veulerie et de compromis/sions nous mène au pire... que j'aimerais que ceci nous soit évité!

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